Recherches du Temps retrouvé

Paris, 17.01.2023  Il semble que Proust lui-même avait dit que les tomes indispensables de sa Recherche étaient les quatre premiers et Le temps retrouvé.
On a l´impression que ce dernier prêterait toutes les solutions aux problèmes que le narrateur aurait eus dans sa vie d´avant. J´avais toujours pensé que le temps de ce livre n´était pas encore venu pour moi.
Je ne parle jamais de mon âge, seulement de ma vie, du „temps de vie“ (comme Virginia Woolf). La temporalité y entre naturellement, de manière personnelle. Je m´aperçois aussi que cette manière de penser me dirige vers uns sentiment de gratitude. „La vie“ englobe les fondements de l´être, de l´âme si l´on veut utiliser ce terme démodé, avec toutes les ressources des moments vécus de l´enfance jusqu´au présent, évinçant presque la notion de l´âge, si normative, généralisante, surtout dans notre époque. Je préfère parler des moments de la vie.
Toutes ces questions emmêlés, Proust les aborde d´une manière palpitante d´intelligence, de vivacité, de sentiment et d´humanité dans ce livre qu´il pose en dernier de sa Recherche.
Le temps retrouvé est un texte sur le vécu de la société et en cela une mise-en-abyme de la question du Temps et de la vie.
Mais je propose de lire Le temps retrouvé aussi pour son actualité! Proust parle de la Premiére Guerre Mondiale comme si nous y étions. Il rapporte les discussions sur cette guerre, les différentes prises de position dans ce qu´il nomme „le monde“, c´est-à-dire les cercles de la bonne société de l´époque, de gens plus ou moins cultivés qui représentent le personnel de son roman. Tout cela rappelle d´une maniére époustouflante les débats de nos jours sur la guerre en Ukraine et on finit par penser que les personnages s´émeuvent, se tracassent et se disputent sur un sujet qui leur échappe intellectuellement et sur lequel ils n´ont aucune prise, aucun moyen d´ingérence. Que ces débats sont vains et même ridicules. – Il s´agit d´une guerre!

Le tournant du 19 ème au 20 ème siècle semble présager beaucoup de notre époque. On l´avait déjà vu récemment avec le film sur Les illusions perdues de Balzac qui avait évoqué et revivifié les débuts de la „médiatisation“ que nous connaissons.
Les deux romanciers, Proust et Balzac, s´étaient intéressés à la question sociétale, politique et en fin de compte éthique du comportement et des discours dans les différentes souches de la société de leur temps.
Chez Proust, les prises de position des personnages nuancent les différents coloris du nationalisme, du chauvinisme et de la haîne de l´Autre, en l´occurence de l´ennemi allemand, du Boche. L´auteur représente aussi les discussions entre les gens du ménage et dans la rue, qu´on classifierait „populistes“ de nos jours. Par exemple le maître d´hôtel, dans ses disputes avec la cuisinière Françoise, parle de „on“ quand il évoque le gouvernement et les journaux: „On nous parle des pertes des Boches …“. (P. 193)  Mais Proust tente d´éviter toute classification, toute prise de position en tant qu´auteur. Nous voyons, avec le narrateur, comment cela nous rapproche de la réalité de la vie, de la „vérité“.
Dans le roman il y a une longue scène dans la bibliothèque du prince de Guermantes où le narrateur attend la fin d´une pièce de musique jouée dans le salon. Lui reviennent les réminescences de ces instants de sa vie passée qui sont chargés d´infimes éléments matériels, ressentis et „emmaganisés“ par le corps: l´étoffe d´une serviette sur sa bouche, les pavés inégaux sous ses pieds.
„Comme si nos plus belles idées étaient comme des airs de musique … Je me souvins avec plaisir, parce que cela me montrait que j´étais déjà le même alors et que cela recouvrait un trait fondamental de ma nature.“ (P. 236)
Ce qui lui donne „la joie du réel retrouvé.“
La trajectoire du texte tente de transcrire les signes de cette impression „fortuite, inévitable“ et qui en fin de compte peut faire surgir l´oeuvre d´art.
Ecrire, c´est „s´astreindre à faire passer une impression par tous les états successifs qui aboutiraient à sa fixation.“ (P. 241)
Et cette phrase qui me parle en tant que traductrice:
„ … le livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n´a pas, dans le sens courant, à l´inventer, puisqu´il existe déjà en chacun de nous, mais á le traduire. Le devoir et la tâche d´un écrivain sont ceux d´un traducteur.“ (P. 251)
Je suis sûre que Walter Benjamin qui connaissait si bien l´oeuvre de Proust, avait pensé à cette phrase quand il a conçu son texte célèbre sur „La tâche du traducteur.“
Le génie poétique me semble provenir du tout début, de la plus petite enfance, avant le langage, où l´enfant est de tour à tour ravi de sa perception de chaque phénomène qu´il regarde, présent  pour lui, dans ce moment précis, comme par magie.
Proust, dans sa démarche, semble aller á la source de cette union de la personne et de sa perception, d´une fusion de l´être avec le monde.
Dans toute la Recherche Proust parle de l´amour. Dans le dernier tome nous apprenons qu´au fil du temps l´amour aurait tendance à se « dépersonnaliser », c´est-à-dire, les sentiments pour une seule personne, avec tous les douleurs de l´état amoureux, se sublimeraient vers l´amour « absolu », sans qu´il soit pour autant « abstrait », puisque ce déplacement nous emplit de chaleur et de gratitude.

Ainsi, Le temps retrouvé devient le prisme de tout ce qui englobe l´écriture de Proust et la littérature.
„La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, est la littérature.“ (P257)[1]

 

[1] Marcel Proust: Le temps retrouvé. Paris (Gallimard Folio) 1954

 

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Après tout ce temps je ne peux plus prétendre d´écrire sur mon „stage parisien“ comme au début. Mais je continuerai à contempler la vie parisienne et les débats des deux côtés du Rhin.

Beate Thill

 

 

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